MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

 

Page  9   

 

n°270
 

       Le fils unique de Louis XIV - le seul légitime du moins -  n'a pas laissé dans l'Histoire un renom fort glorieux. C'est toujours très difficile d'être le digne fils d'un homme célèbre ; mais quand cet homme est unanimement déclaré l'égal du soleil, il y a de quoi éteindre les aptitudes les plus brillantes de son rejeton. Du fait de cette météorologique allégorie, la figure du dauphin se trouvait particulièrement éclipsée.

        C'était un gros garçon assez lourd d'aspect, assez court de taille, profondément indifférent à tout et taciturne comme un trappiste. Il ne parlait jamais ou presque ; mais lorsque, une fois par an, il lui prenait fantaisie de prononcer quelques mots, on s'extasiait sur la manière noble dont il formulait sa pensée. Mais il mettait son application à oublier tout ce qu'on lui enseignait. 

 

G.Lenôtre - Versailles au temps des Rois (1934)

 

n°269
 

       Les Plésiosaures du Jurassique et du Crétacé formaient un groupe de reptiles marins, aussi abondants que les Ichtyosaures. A l'inverse de ces derniers, ils se propulsaient en donnant en arrière de puissants coups de rames à l'aide de leurs membres évasés en pagaies.

        Cette impulsion devait être suivie d'un rétablissement  au cours duquel la pagaie basculait pour ne plus présenter que son tranchant vers l'avant, ceci afin de réduire la résistance de l'eau, exactement comme un rameur ramène son aviron à plat. 

 

B.Coz - Les animaux préhistoriques (1970)

 

n°268
 

       Mais pourquoi m'arrêter à des détails ? Mon esprit brûle d'aborder des sujets plus importants. Je vais chanter de grandes choses. Peuple, prête-moi toute ton attention. Périlleuse est mon entreprise, mais sans péril, pas de mérite. C'est un travail difficile que te demande notre traité. Souffre avec patience un rival ; la victoire sera de ton côté ; tu seras vainqueur dans l'art que pratique le puissant Jupiter. légitime morsque

         Ce sont là, crois-le bien, les paroles, non pas d'un homme, mais des chênes grecs ; mon traité ne peut rien offrir de plus important. Ton amie fera quelque signe à un rival ; supporte-le. Elle lui écrira : ne touche pas aux tablettes. Qu'elle vienne d'où elle voudra ; qu'elle aille où il lui plaira. Cette complaisance, des maris la témoignent à leur épouse légitime, lorsque toi aussi, bon Sommeil, tu viens jouer ton rôle.

 

Ovide - L'art d'aimer (c.2ap.)

 

n°267
 

       Un chat est enfermé dans une boîte ; dans cette boîte se trouve une fiole de poison volatil, un marteau peut tomber sur la fiole et la casser, le marteau est retenu par le dispositif de déclenchement actionné par un proton. On envoie sur ce dispositif un proton de spin indéterminé, et au bout d'une heure on regarde la boîte par une petite lucarne. Evidemment le chat est mort ou vivant.

         Mais avec le formalisme de la physique quantique, on se heurte à un sérieux problème, le chat se trouvant dans un état inconcevable qui est une superposition de l'état "chat vivant" et de l'état "chat mort" !

 

Sven Ortoli / Jean-Pierre Pharabod - Le cantique des quantiques (1984)

 

n°266
 

       Cette nuit je n'ai pas pu dormir. Le mistral était en colère, et les éclats de sa grande voix m'ont tenu éveillé jusqu'au matin. Balançant lourdement ses ailes mutilées qui sifflaient à la bise comme les agrès d'un navire, tout le moulin craquait. Des tuiles s'envolaient de sa toiture en déroute. Au loin, les pins serrés dont la colline est couverte s'agitaient et bruissaient dans l'ombre. On se serait cru en pleine mer...

         Cela m'a rappelé tout à fait mes belles insomnies d'il y a trois ans, quand j'habitais le phare des Sanguinaires, là-bas, sur la côte corse, à l'entrée du golfe d'Ajaccio. Encore un joli coin que j'avais trouvé là pour rêver et pour être seul.

 

Alphonse Daudet -  Lettres de mon moulin (1869) - (nouvelles)

 

n°265
 

       Il est des enchainements inévitables. Partant du terme "inégalités", on passe à celui de partage à parts et de parts à gâteau. Au terme d'un tel glissement, la redistribution peut sivre cette loi très simple : "un peu plus" c'est juste, "un peu trop plus", c'est injuste. C'est affaire de degrés : les inégalités sont tolérées si elles ne sont pas trop fortes. On admet les "petits" et les "moyens". Pas les "gros".

        Cette approche, très suffisante pour découper une galette, s'applique mal à une société. Dans celle-ci, la réalité est dynamique et non pas statique. C'est un flux que l'on répartit, pas un stock. Il ne s'agit pas de diviser la richesse mais de faire fonctionner un système qui assure, à la fois, la production et la distribution.

 

François de Closets - Toujours plus ! (1982)

 

n°264
 

       Je ne sais pour quelle raison mystérieuse, je ne puis penser à Modigliani sans associer son souvenir à la poésie. J'habitais alors au 54 rue du Montparnasse, une maison occupée par des ouvriers et bientôt mes voisins de palier battaient de leurs poings les cloisons, tandis que ceux du dessus et de l'étage inférieur manifestaient aussi leur mécontentement. Cette scène s'est gravée dans mon esprit : dans la petite pièce où la clarté mystérieuse et vacillante de la lampe à pétrole ne parvenait pas à dissiper les ombres de la nuit, Modigliani, ivre et pareil à un fantôme, était assis dans un fauteuil et déclamait des vers de Villon avec force éclats de voix, indifférent au concert de protestations qui retentissait autour de nous. Il ne s'arrêta que quelques heures plus tard, à bout de souffle.

 

Jacques Lipchitz - Modigliani (1954)

 

n°263
 

       Mon père me demanda un jour à sa façon - qui était d'autant plus légère, enjouée et indirecte qu'il s'agissait d'un sujet le touchant de plus près - si je songeais qu'il faudrait bien qu'un jour je lui succédasse, et qu'il siérait alors que j'eusse une femme  digne de devenir la reine de Nippur.

         Je n'avais aucune ambition politique, et, pour les raisons que je viens d'exposer, mon sexe n'émettait pas de prétentions qui fussent de nature à me retirer le sommeil. La question de mon père, à laquelle je n'avais su que répondre, ne manquait pas cependant de me préoccuper, et peut-être me prépara-t-elle obscurément à souffrir.

 

Michel Tournier - Balthazar ou l'iconophile (N. R. F. n°333 - oct.1980)

 

n°262
 

       C'est en 1759 qu'un acteur de la foire, Jean-Baptiste Nicolet, fonde sur le boulevard le théâtre qui porte d'abord son nom. L'endroit était bien choisi (les boulevards étaient devenus un lieu de promenade à la mode), les acteurs convenables et le répertoire varié : on y jouait de petites comédie, des pièces mêlées d'ariettes et de chants avec des intermèdes de chanteurs et de sauteurs de cordes.

        L'Opéra-Comique avait dû fermer ses portes et la foire Saint-Germain avait brûlé en 1762, autant de circonstances favorables pour Nicolet qui recueillit leur public. Le succès fut immédiat et durable : en 1772, Louis XV fit venir la troupe à Choisy ; elle eut le droit de s'appeler Les Grands Danseurs du Roi ; en 1792 le théâtre s'appellera théâtre de la Gaité.

 

Pierre Larthomas - Le théâtre en France au XVIIIè siècle (QSJ n°1848) (1980)

 

n°261
 

       Pour éviter des erreurs quand on déplace les échantillons en dehors de leur cuvette pour les observer, on peut inscrire sur chacun un numéro : pour cela déposer sur la face la moins belle une petite goutte de peinture blanche genre "Ripolin" ; après séchage, y inscrire discrètement le numéro à l'encre de Chine. Ce chiffre doit être reporté sur un catalogue sur lequel on inscrira toutes les références concernant le nom et l'origine de la roche.

        En raison de leur poids, placer les pièces de collection dans des armoires étanches, robustes, à tiroirs multiples faciles à ouvrir. Ces meubles sont malheureusement coûteux et encombrants. Ils peuvent être, pour les locaux exigus, remplacés par des "boîtes-tiroirs" en matière plastique vendues dans les grands magasins.

 

 

J.Arrecgros - Petit guide panoramique des roches (1968)

 

n°260
 

       Ce même 2 juin à bord de l'Enterprise qui fait route au nord-est de Midway, les airs favoris sont My Heart Belongs to Daddy de Glenn Miller, Tommy Dorsey et Mary Martin. Il y a six jours que la Task Force 16 a pris la mer et la vie en dehors du service est, tout au moins en apparence, très uniforme : c'est toujours les mêmes disques, les mêmes parties de cartes, les mêmes discussions et aussi les mêmes farces.

        A bord du Hornet, l'aumonier Eddie Harp chipe pour plaisanter une caisse de pamplemousses au docteur Sam Osterloh qui les apprécie fort. A bord du New Orleans, le matelot breveté A.M. bagley se remet à son passe-temps favori qui consiste à battre au rummy le matelot breveté F.Z. Muzejka.

 

Walter Lord - Midway, l'incroyable victoire (1967) - (histoire)

 

n°259
 

       Personne n'a jamais pu réfuter l'impitoyable analyse que Pascal a faite, dans les Pensées, de l'ennui comme l'étoffe même des jours de notre vie, sous les broderies et la passementerie dont nous essayons, plus ou moins vaillamment, de l'agrémenter. Voltaire et Mme du Deffand tâtèrent en frémissant cette bure, qui démentait en secret l'éclat des Lumières. Mais c'est au XIXè siècle que l'ennui  devenu "mal du siècle" dans l'éloquence de René ne cessa d'aggraver ses ravages et de multiplier les prestiges qui le détournaient vainement de sa rêche vérité.

         Avec A Rebours en 1884, l'ennui romantique enfiévré par le "spleen" de Baudelaire qualifié de "névrose" par le diagnostic de Zola, se flatta enfin d'entrer en agonie. Celle-ci dure encore. Le néo-classicisme de l'entre-deux guerres, Maurras ou NRF, avait cru jeter un définitif linceul sur la "charogne" fin de siècle. Mais celle-ci, transfigurée en corps glorieux par Proust, fardée et embaumée par le surréalisme, attendait l'heure de nouvelles corruptions et contagions.

 

Marc Fumaroli - Préface pour A Rebours de J.K.Huysmans (1977)

 

n°258
 

        " Et voilà ! fit-il presque violemment. Je vous ai dit l'essentiel. Tout le reste, ce sont des détails. Depuis des années, j'attends de pouvoir dire cela à quelqu'un. "

            Il s'était assis, et je vis que cet homme devait avoir une raison en acier pour résister à la pression de la folie qui bouillonnait en lui. Il était maintenant un peu détendu et comme soulagé.

          " Mes seuls bons moments, reprit-il après avoir changé de position, c'était en été, quand je reprenais les souliers ferrés, le sac et le piolet pour courir les montagnes. Je n'avais jamais de très longues vacances, mais j'en profitais ! Après dix ou onze mois passés à perfectionner des aspirateurs de poussière ou des parfums synthétiques, après une nuit de chemin de fer et une journée d'autocar, lorsque j'arrivais les muscles encore encrassés des poisons de la ville, aux premiers champs de neige, il m'arrivait de pleurer comme un idiot, la tête vide, les membres ivres et le coeur ouvert. "

 

René Daumal - Le Mont Analogue (1981) - (roman)

 

n°257
 

       La corruption de fonctionnaires est hélas excessivement courante dans certaines régions ; il est donc préférable aux frontières (y compris la douane des aéroports), de faire preuve de fermeté et non de gentillesse excessive car ce dernier sentiment risque malheureusement, au détriment des intéressés, d'être interprété comme de la faiblesse et d'accuser un terrain favorable au fourvoiement officialisé.

        En cas de difficultés, ne pas hésiter à demander le chef de poste ou toute autre autorité. Si aucun appui ne peut être obtenu, on peut tenter de menacer ses interlocuteurs de déposer une plainte auprès du ministre du Tourisme local (il est toujours intéressant de connaître les noms des hauts fonctionnaires), à son ambassade, etc.

 

Gérard Thiemmonge - Guide pratique pour l'expédition et l'aventure (1979)

 

n°256
 

       Vivre seul. Et quand vous avez atteint le point où il s'agit de parler de la luxure... il n'y a pas tellement de place à bord pour la gaudriole.

        La vie sexuelle du navigateur solitaire n'a rien de bien extraordinaire. Quelques revues déshabillées, Lui ou Playboy, un peu d'imagination, tout ça vaut aussi bien que la poupée gonflable que des amis m'ont offerte pour meubler ma solitude ; l'amitié pour moi est chose sacrée, un cadeau, c'est fait pour qu'on s'en serve ; j'ai essayé : ça ne marche pas. Enfin, ça fait un sujet de conversation aux escales.

 

Antoine - Globe-flotteur (1977)

 

n°255
 

       La prochaine plénière de l'épiscopat pourrait se pencher sur ce problème délicat : " La gouvernante d'un curé peut-elle être assimilée à une épouse ? " Ainsi posée, la question est brutale. Pourtant, c'est sous cette forme que la loi s'est vue contrainte de l'évoquer. On imagine l'embarras des juges.

        La gouvernante d'un curé, mort dans un accident de voiture, s'était constituée partie civile contre l'auteur de l'accident et réclamait 40 000 francs de dommages et intérêts, en invoquant ce motif : " Les liens affectifs existant entre le curé et sa gouvernante, qui n'est pas salariée, le dévouement, la confiance,  en dehors de toutes autres relations, ouvrent le droit à un dédommagement. "

 

Jean Amadou - Il était une mauvaise foi (1978)

 

n°254
 

       Affirmer qu'il n'y a aucune différence scientifiquement établie entre les produits cultivés avec des engrais chimiques traités aux pesticides et les produits en provenance d'une culture biologique, c'est avouer simplement l'incapacité d'une analyse chimique classique à pénétrer les problèmes biologiques.

        La constitution chimique brute des minéraux par exemple étant sensiblement constante dans une espèce, d'après la plupart des agronomes, une analyse minérale classique est une opération trop grossière pour être concluante. Elle est sans grande valeur pratique. Ce n'est pas nécessairement le produit le plus riche en minéraux qui sera le meilleur. En outre, les produits entrés de force dans les cellules des racines ne sont pas utilisés par la plante et constituent une matière minérale morte.

 

Jean-Claude Rodet - Les aliments biologiques (1982)

 

n°253
 

       Le travail forcé produit seulement des marchandises. Toute marchandise est inséparable du mensonge qui la représente. Le travail forcé produit donc des mensonges, il produit un monde de représentations mensongères, un monde renversé où l'image tient lieu de réalité. Dans ce système spectaculaire et marchand, le travail forcé produit sur lui-même deux mensonges importants :

        - le premier est que le travail est utile et nécessaire, et qu'il est de l'intérêt de tous de travailler ;

        - le deuxième mensonge, c'est de faire croire que les travailleurs sont incapables de s'émanciper du travail et du salariat.

 

Ratgeb - De la grève sauvage à l'autogestion généralisée (1974) - (manifeste)

 

n°252
 

       LE HERAUT : Je ne puis te nommer, te décrire plutôt.

       L'ENFANT-GUIDE : Va !

       LE HERAUT : J'avouerai d'abord que tu es jeune et beau. Adolescent encore, mais les femmes, je pense, aimeraient fort te voir achever ta croissance. Tu me parais galant plein d'avenir et séducteur ayant de qui tenir.

       L'ENFANT-GUIDE : Ceci n'est point mal, continue et de l'énigme bienvenue découvre le mot pour finir.

       LE HERAUT : L'éclair des yeux noirs, les boucles d'ébène qu'orne un cercle d'or, bijou précieux, puis ce vêtement, coulant, gracieux, de l'épaule au pied t'effleurant à peine, à franges de pourpre et clinquant joyeux. Certes l'on pourrait pour fille te prendre...

      

Goethe - Faust (1932) - (tragédie)

 

n°251
 

       Je n'ai que le temps, mon cher ami, de vous dire qu'il est bien triste d'arriver à Paris, quand vous en partez. Monsieur Thiriot  m'assure qu'il a obtenu de vous la faveur d'entendre  des vers charmants de votre façon. Votre épître sur la décadence des arts m'a mis en goût. l faut que j'aie le reste. Les arts ne tombent point en France, si le reste de vos ouvrages répond à ce morceau.

        J'ai envoyé à monsieur de Cideville bien des guenilles, et c'est solidairement pour vous. Il m'a déjà payé, payez moi aussi. J'ai lu Julien. C'était un grand homme, mais le père de la Bleterie ne l'est pas. Il mérite pourtant bien des éloges pour n'avoir pas toujours été prêtre à préjugés dans son histoire. 

 

Voltaire - Correspondance (à monsieur Formont) (1er avril 1735)

 

n°250
 

       La religion des Grecs était pour l'épanouissement de l'homme. Ils pensaient que la force suprême, c'est de comprendre le monde, sa vertu, sa beauté, sans recourir aux dieux cachés dans trop de surnaturel. Leur religion était légère et transparente et l'homme pouvait s'y tenir debout allègre et souriant. Ils avaient le culte de la vie, une tenue sereine devant le bonheur ou l'adversité. Ils en étaient là quand l'Ere chrétienne est venue assombrir et étouffer cette ligne naissante et optimiste.

        Le christianisme est apparu, instaurant le goût de la mort par-devant la vie... L'Eglise ténébreuse, avec son confessionnal clair-obscur, a surgi, tendue vers le ciel vide. C'est un des moments les plus dramatiques de l'humanité celle ou deux concepts de heurtent et se détruisent.

 

Fernand Léger - De l'Acropole à la Tour Eiffel (Conférence à la Sorbonne (1934)

 

n°249
 

       Le mot arabe Kalâm veut dire parole, discours. Le mot motakallim désigne celui qui parle, l'orateur (en grammaire, la première personne). Il n'est pas possible de retracer ici l'évolution par laquelle le mot Kalâm finit par signifier le théologie tout court, et le mot Motakallimin (ceux qui s'occupent de la science du Kalâm, 'ilm al-Kalâm), les "théologiens". Il faudrait analyser simultanément plus en détail la genèse du problème posé par le Qorân comme Kalâm Allâh, "parole de Dieu.

         En outre, la science du Kalâm comme théologie scolastique de l'Islam, finit par désigner plus spécialement une théologie professant un atomisme qui, tout en rappelant celui de Démocrite et d'Epicure, en diffère par tout son contexte.

 

Henri Corbin - Histoire de la philosophie islamique (1964)

 

n°248
 

       Au cinéma, j'ai devant moi la nuque d'un garçon de dix ans, ses oreilles en ailes de Zéphire. J'essaie d'imaginer ce qu'exprime son visage tendu vers l'écran où passe un train bourré de cadavres, de morts squelettiques, femelles et mâles, aux jambes écartées. Voici encore, pris dans des barbelés, un macchabée grotesque.

        Je me souviens de ce qu'était pour moi la mort, à l'âge de ce petit garçon, de ce mystère qui me retenait tremblant sur le seuil de la chambre inhabitée où je savais que mon grand-père avait rendu l'esprit. Par la porte entrebaillée, les sombres rideaux immobiles, la pendule arrêtée en même temps que le coeur du vieil homme dont la dernière parole avait été : "La foi nous sauve..." , le verre d'eau sur la console, ce fauteuil vide près de l'âtre noir, tout me semblait baigné d'une lumière intemporelle, tout était comme frappé d'éternité. 

 

François Mauriac - Journal  (1er juin 1945)

 

n°247
 

       L'époque du renouvellement du mois allait arriver, lorsque Severino entre un matin, vers les neuf heures, dans notre notre chambre ; il paraissait très enflammé ; une sorte d'égarement se peignait dans ses yeux ; il nous examine, nous place tour à tour dans son attitude chérie, et s'arrête particulièrement  à Omphale ; il reste plusieurs inutes à la contempler dans cette posture, il s'excite sourdement, il baise ce qu'on lui présente, fait voir qu'il est en état de consommer, et ne consomme rien ; la faisant ensuite relever, il lance sur elle des regards où se peignent la rage et la méchanceté ; puis lui appliquant à tour de reins un vigoureux coup de pied dans le bas-ventre, il l'envoie tomber à vingt pas de lui.

 

D.A.F. de Sade - Justine ou Les malheurs de la vertu (1791) - (roman)

 

n°246
 

       Quand une forme sociale domine dans le monde, il n'est pas si difficile de la reconnaître. En arrivant au Xè siècle nous reconnaîtrons sans hésiter la prépondérance  de la féodalité ; au XVIIè, nous n'hésiterons pas à affirmer que c'est le principe monarchique  qui prévaut ; si nous regardons aux communes de Flandre, aux républiques italiennes, nous déclarerons sur-le-champ l'empire du principe démocratique. Quand il y a réellement un principe dominant dans la société, il n'y a pas moyen de s'y méprendre.

 

François Guizot - Histoire de la civilsation en Europe (1985)

 

n°245
 

       Curieux mélange de Boubouroche et de Machiavel - ainsi que le dépeint l'un de ses contemporains - , la figure rougeaude, le nez orné d'une belle verrue, Albert Arman est un homme retors, fin, mais joueur et chimérique. Et sous prétexte de jouer les humoristes, souvent grossier.

        Très dépensier, il a été pourvu d'un conseil judiciaire que sa femme, après leur mariage, a eu l'imprudence de faire lever. Plutôt paresseux, sa principale activité consiste à gérer les terres et les vignes familiales, qui constituent maintenant l'essentiel de sa fortune personnelle. Il voudra aussi s'occuper de journalisme et sa grande fierté sera de tenir dans Le Figaro la rubrique du yachting.

 

Gilbert Guilleminault - La Belle Epoque (1958)

 

n°244
 

       On avait pris ma guinde, because le tréteau du vieux était tellement large qu'on aurait eu meilleur compte de faire circuler le porte-avions "entreprise" sur ces routes en lacet. Je lui montre ma carte.Il la regarde comme un quidam regarde une toile de Picasso, avec l'air de se demander si elle est bien exposée du bon côté.

        Si vous aviez été là, bande de gnoufs, vous auriez pu constater qu'entre moi et la statue de l'ahurissement, il n'y avait pas plus de différence qu'entre un dictateur de droite et un dictateur de gauche. Le gars avait cinquante ans de plus qu'elle, une gueule qui pendait comme les branches d'un sapin, un râtelier à changement de vitesse et un bandage herniaire.

         Je la laisse, plantée dans l'encadrement de la porte sur ses guiboles desséchées, pareille à ces personnages de cauchemar qui sont tombés d'un rayon de lune sans se casser la gueule.

 

Frédéric Dard - Passez-moi la Joconde (San Antonio) (1954) - (roman)

 

n°243
 

       Toutefois rien n'avait encore surpassé, rien n'éclipsa la Trajane. On peut faire toutes réserves sur l'idée même de ce ruban en hélice, qui ne présente à l'observateur qu'un panorama entrecoupé, dont les parties hautes se perçoivent à peine, où les effets de profondeur doivent être réduits ou abandonnés ; il y est suppléé par des superpositions. La conception est-elle d'Apollodore ? Qui a dessiné la maquette ? Est-ce un maître unique ? Autant de problèmes irrésolus.

 

Victor Chapot - Les styles du monde romain antique (1943)

 

n°242
 

       Un jeune homme très timide entre dans une pharmacie et, rougissant, demande à la pharmacienne :

            - Euh...Je voudrais...un manteau... Euh...un tout petit manteau...

        La pharmacienne comprend très bien et lui tend une boîte de préservatifs :

            - Choisissez-en un, je vous l'offre ! fait-elle, et si vous voulez y mettre un petit col de fourrure, je suis libre à sept heures et demie !

 

Armand Isnard - Histoires drôles pour rire entre adultes (1984)

 

n°241
 

       Citoyens, j'ai été à Rome exposé à bien des dangers, et à la guerre j'ai connu bien des difficultés : les uns, je les ai supprimés ; les autres, je les ai résolues avec l'aide des dieux et par mon courage ; nulle part, je n'ai manqué de décision dans les affaires, ni d'énergie dans l'action. Le succès et l'insuccès pouvaient modifier mes moyens, mais non mon caractère. Mais dans les misères présentes, tout m'abandonne avec la fortune, et la vieillesse, déjà pénible en elle-même, redouble mon souci.

         J'ai le malheur, à mon âge, de ne pas pouvoir même compter sur une mort honorable. Si, en effet, je suis pour vous un assassin, si ayant deux fois reçu la vie sur cette terre, je bafoue mes dieux pénates, mon pays et la dignité suprême dont je suis revêtu, quel tourment pourra m'être réservé pendant ma vie, et quel châtiment après ma mort ? Mon crime dépasse tous les supplices connus aux enfers.

 

Salluste - Histoires (38 av)

 

 

 

 

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