MAGALMA
LECTORIUM
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Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire
d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est
l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus
ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit,
généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de
qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le
nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un
même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont
dévoilés que le lendemain).
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Page
11
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n°330 |
Je suis là, assis à ma table et prêt à écrire, mais les mots me font
peur. Je m'efforce de rester calme, pourtant je me sens sur le point
de céder à un tremblement nerveux. J'ai le dos tourné à ma fenêtre.
Depuis mon entrée chez moi, j'évite d'y porter le regard. Je n'ose
le diriger vers la fenêtre d'en face . Est-elle en train de m'y
épier ?
L'évènement est là,
entre mes mains, comme un bloc sans faille. Il serait bon de trouver
la moindre aspérité à laquelle accrocher une réfutation. Mais rien
de tout cela ne peut être réfuté. Voyons les faits : cet après-midi,
je me suis rendu à l'immeuble d'en face et j'ai interrogé la
concierge.
Alain Dorémieux - Mondes interdits
(1967) - (roman)
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n°329 |
Nous touchons ici au point essentiel du débat. Dans les cas où la
reconnaissance est attentive, c'est-à-dire où les souvenirs-images
rejoignent régulièrement la perception présente, est-ce la
perception qui détermine mécaniquement l'apparition des souvenirs,
ou sont-ce les souvenirs qui se portent spontanément au-devant de la
perception ?
Henri Bergson - Matière et Mémoire -
(1939) - (philosophie)
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n°328 |
Il y avait une fois un prince qui voulait épouser une princesse,
mais une princesse véritable. Il fit donc le tour du monde pour en
trouver une, et, à la vérité, les princesses ne manquaient pas ;
mais il ne pouvait jamais s’assurer si c’étaient de véritables
princesses ; toujours quelque chose en elles lui paraissait suspect.
En conséquence, il revint bien affligé de n’avoir pas trouvé ce
qu’il désirait.
Un soir, il faisait un temps
horrible, les éclairs se croisaient, le tonnerre grondait, la pluie
tombait à torrent ; c’était épouvantable ! Quelqu’un frappa à la
porte du château, et le vieux roi s’empressa d’ouvrir.
H.C. Andersen - La princesse sur un
pois - (conte)
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n°327 |
Lorsqu'un esprit attentif et ouvert a parcouru, dans les manuels
classiques, le cycle ordinaire des chapitres relatifs au premier et
au second degré, il est rare qu'il n'éprouve ni étonnement, ni dépit
du blocage brusque qui l'arrête au seuil même du troisième degré.
Si les fonctions et
équations cubiques constituent un champ clos réservé, pourquoi ne
pas dire tout net qu'elles ne rentrent pas dans le cadre normal des
mathématiques élémentaires ? Il est vrai, sans doute, que le
troisième degré s'étend sur le triple domaine algébrique,
géométrique et trigonométrique, de sorte que cette position à cheval
qui, du seul point de vue scientifique, n'est pas sans intérêt,
explique la difficulté d'en introduire l'étude.
Le Docteur Devauchelle - Résolution
des équations cubiques
(1926) - (mathématiques)
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n°326 |
Il est bien des vices, Fuscinus, bien des vices déshonorants et
capables de flétrir à jamais les plus heureux caractères, que les
parents eux-mêmes enseignent et transmettent à leurs enfants. Si le
père a la passion du jeu, son fils, portant encore la bulle, remue
déjà le dé dans un petit cornet. Et cet autre, qu'espérer de lui,
quand il aura appris d'un dissipateur à barbe grise, son maître en
gourmandise, l'art de préparer les truffes et d'accommoder à la même
sauce les champignons et les bec-figues ? A peine la septième année
de cet enfant sera-t-elle écoulée, n'eût-il pas encore renouvelé
toutes ses dents, missiez-vous à ses côtés cent précepteurs
austères, il n'en soupirera pas moins après une table délicate, et
ne consentira jamais à dégénérer de la cuisine paternelle.
Juvénal (1er/2éme s. ap.) - Satire
XIV
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n°325 |
Au jour fixé, nous quittâmes la maison, et nous arrivâmes le soir à
Malaucène, lieu situé au pied de la montagne, du côté du nord. Nous
y restâmes une journée, et aujourd’hui enfin nous fîmes l’ascension
avec nos deux domestiques, non sans de grandes difficultés, car
cette montagne est une masse de terre rocheuse taillée à pic et
presque inaccessible. Mais le poète a dit avec raison : un labeur
opiniâtre vient à bout de tout. La longueur du jour, la douceur de
l’air, la vigueur de l’âme, la force et la dextérité du corps, et
d’autres circonstances nous favorisaient. Notre seul obstacle était
dans la nature des lieux.
Nous trouvâmes dans
les gorges de la montagne un pâtre d’un âge avancé qui s’efforça par
beaucoup de paroles de nous détourner de cette ascension. Il nous
dit que cinquante ans auparavant, animé de la même ardeur juvénile,
il avait monté jusqu’au sommet, mais qu’il n’avait rapporté de là
que repentir et fatigue, ayant eu le corps et les vêtements déchirés
par les pierres et les ronces. Il ajoutait que jamais, ni avant ni
depuis, on n’avait ouï-dire que personne eût osé en faire autant.
Pétrarque (1304-1374) - L'ascension
du Mont Ventoux - (nouvelle)
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n°324 |
Ceux qui savent s’observer eux-mêmes et qui gardent la mémoire de
leurs impressions, ceux-là qui ont su, comme Hoffmann, construire
leur baromètre spirituel, ont eu parfois à noter, dans
l’observatoire de leur pensée, de belles saisons, d’heureuses
journées, de délicieuses minutes. Il est des jours où l’homme
s’éveille avec un génie jeune et vigoureux. Ses paupières à peine
déchargées du sommeil qui les scellait, le monde extérieur s’offre à
lui avec un relief puissant, une netteté de contours, une richesse
de couleurs admirables. Le monde moral ouvre ses vastes
perspectives, pleines de clartés nouvelles.
L’homme
gratifié de cette béatitude, malheureusement rare et passagère, se
sent à la fois plus artiste et plus juste, plus noble, pour tout
dire en un mot. Mais ce qu’il y a de plus singulier dans cet état
exceptionnel de l’esprit et des sens, que je puis sans exagération
appeler paradisiaque, si je le compare aux lourdes ténèbres de
l’existence commune et journalière, c’est qu’il n’a été créé par
aucune cause bien visible et facile à définir.
Charles Baudelaire (1821-1867) - Le
goût de l'infini - (nouvelle)
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n°323 |
Pendant un jour, beaucoup d’hommes en chairs et en os avaient
remué beaucoup d’hommes en livres.
Ces derniers étaient tirés de leur
coin où parfois, ils reposent en quiétude grande, montrant pour
visage, leur dos où est leur nom.
Puis ensuite, leurs corps
ouverts sur un tapis, sous le souffle du jeune et du vieux, mal
touchés de certaines mains, disséqués par des regards ; leurs corps
demandaient merci aux heures qui sonnaient lentes.
Enfin le moment qui devait les
remettre en place arriva, et les hommes en chairs et en os dirent
adieu aux hommes en livres.
Xavier Forneret (1809-1884) - Rien
- (nouvelle)
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n°322 |
Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés.
Les Amours des bassins, les Naïades en groupe
Voient reluire au soleil en cristaux découpés
Les flots silencieux qui coulaient de leur coupe.
Les lauriers sont coupés, et le cerf aux abois
Tressaille au son du cor; nous n'irons plus au bois,
Où des enfants charmants riait la folle troupe
Sous les regards des lys aux pleurs du ciel trempés,
Voici l'herbe qu'on fauche et les lauriers qu'on coupe.
Nous n'irons plus au bois, les lauriers sont coupés.
Théodore de Banville (1823-1891)-
Nous n'irons plus aux bois - (poésie)
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n°321 |
Il ne faudrait pas tout de même conclure que de servir Yubelblat ça
n'apprenait pas certaines choses.... Je parle du domaine
scientifique, de la médecine appliquée, des arts sanitaires et de
l'hygiène... Il connaissait, le petit sagouin, tous les secrets du
métier. Il avait pas son pareil pour dépister l'entourloupe, pour
percer les petits brouillards dans les recoins d'un rapport.
Il aimait pas les
fariboles, fallait qu'on lui ramène des chiffres... rudement
positifs... de la substance contôlable, pas des petites
suppositions... des conjectures aventureuses, des élégants
subterfuges... des fins récits miragineux... ça ne passait pas...
des chiffres d'abord ! et avant tout ! ... Les sources !... les
recettes du budget :...avant les dépenses !... Des faits basés sur
des " espèces " ... en dollars ... en livres si possible... Pas des
" courants d'air " !
Louis-Ferdinand Céline - Bagatelles
pour un massacre
(1937) - (pamphlet)
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n°320 |
Un mercredi matin, Tim s’aperçoit
qu’il n’a plus aucune chaussette
propre dans son placard. Ses parents
déjà partis au travail, il doit se
débrouiller tout seul. Pas question
de porter ses baskets neuves à même
la peau ! Il saisit aussitôt masque
et tuba et plonge dans son tas de
linge sale à la recherche de
chaussettes encore vivantes. Cinq
couples sont remontés à la surface.
Un peu raidies par la crasse, elles
ont quand même conservé leur couleur
d’origine. Tim se dirige vers le
lave-linge et jette les dix
chaussettes dans le tambour béant.
Le programme court sera sûrement
suffisant pour les remettre sur
pied. C'est la première fois qu'il
manipule tous ces boutons et ne
connaît pas la malice dont sont
capables ces machines redoutables.
Vingt minutes de tourbillon plus
tard, le cycle semble terminé. Notre
héros surexcité plonge sa main
fébrile dans la gueule humide de la
bête. Et là : incroyable mais vrai,
seules huit chaussettes sont
retrouvées.
Pascale Dehoux - Disparition (2010) -
(littérature jeunesse)
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n°319 |
Oh ! les cimes des pins grincent en se heurtant
Et l’on entend aussi se lamenter l’autan
Et du fleuve prochain à grand’voix triomphales
Les elfes rire au vent ou corner aux rafales
Attys Attys Attys charmant et débraillé
C’est ton nom qu’en la nuit les elfes ont raillé
Parce qu’un de tes pins s’abat au vent gothique
La forêt fuit au loin comme une armée antique
Dont les lances ô pins s’agitent au tournant
Les villages éteints méditent maintenant
Comme les vierges les vieillards et les poètes
Et ne s’éveilleront au pas de nul venant
Ni quand sur leurs pigeons fondront les gypaètes.
Guillaume Apollinaire (1880-1918) -
Le vent nocturne - (poésie)
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n°318 |
Ah ! celle là pourra resservir. Je crois que ce sera la dernière
fois par exemple. Allons, nettoie, lave, brosse, frotte, savonne.
Qui l’eut dit il y a cinq ans lorsque j’étais au séminaire. Ah !
misérable créature, qu’as-tu fait de moi ! Pourquoi le Ciel a-t-il
voulu que je rencontrasse cette maudite petite blanchisseuse qui
repassait alors mes surplis, et, grâce à laquelle j’en suis réduit
maintenant à repasser des capotes. Sale métier, va ! les femmes,
jusqu’où nous font-elles tomber !... Je ne pourrai jamais détacher
celle là. Il est vrai qu’elle est encore plus bas que moi. Ah !
Raphaële, elle vit là dedans, sans remords et sans regret du passé.
Et je l’aime toujours pourtant... En voilà une que j’ai oubliée.
J’ai des distractions aujourd’hui. Malheureux Crête de Coq ! Elles
m’ont nommé Crête de Coq, les gueuses. S’appeler Crête de Coq, quand
je devrais aujourd’hui m’appeler l’Abbé Lecoq ! Ah ! les femmes, les
femmes !
Guy de Maupassant - A la feuille de
rose, maison turque (1875) - (théâtre)
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n°317 |
"Et alors même que Crainquebille aurait crié : " Mort aux vaches ! "
il resterait à savoir si ce mot a, dans sa bouche, le caractère d'un
délit. Crainquebille est l'enfant naturel d'une marchande ambulante,
perdue d'inconduite et de boisson, il est né alcoolique. Vous
le voyez ici abruti par soixante ans de misère. Messieurs, vous
direz qu'il est irresponsable. "
Maître
Lemerle s'assit, et M. le président Bourriche lut entre ses dents un
jugement qui condamnait Jérôme Crainquebille à quinze jours de
prison et cinquante francs d'amende. Le tribunal avait fondé sa
conviction sur le témoignage de l'agent Matra.
Anatole France - Crainquebille
(1922) - (nouvelle)
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n°316 |
Si un escabeau, et cela serait bien préférable, ne peut être mis
par la deuxième sorcière, c'est à dire dès maintenant la suivante de
Lady Duncan, derrière Lady Duncan pour qu'elle y monte, Lady Duncan
pourra faire quelques pas vers la droite où se trouvera un escabeau
sur lequel elle monte, à reculons et progressivement, lentement,
dans toute sa majesté.
La suivante portera la
traîne de Lady Duncan, Lady Duncan toujours enveloppée dans cette
sorte d'aura.
Macbett se lèvera et
se jettera de nouveau aux pieds de Lady Duncan.
(didascalies)
Eugène Ionesco - Macbett (1972) -
(théâtre)
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n°315 |
Vous serez le " popotier " déclara le Colonel, s'adressant à
Baraton, lieutenant de réserve rappelé à l'activité à l'occasion du
remue-ménage européen.
- Bien, mon
colonel ! répondit Baraton avec déférence et discipline, mais
l'âme pleine d'appréhensions. Etre popotier dans des conditions
pareilles, c'est désespérant. Sans aucun ustensile de cuisine, sans
pratique, sans recettes, peut-on essayer de nourrir ses semblables ?
Le colonel vit-il
la gravité du cas et le choc intérieur que procurait cette décision
à son subordonné ? Cela est dans le domaine du possible... en tous
cas il ajouta :
-
Provisoirement !
Mais Baraton se
méfiait des situations provisoires.
Georges Bonnamy - L'état-major s'en
va-t-en guerre
(1941) - (roman)
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n°314 |
Il était toujours sensible, tout d'abord, à l'effet de la pointe
acérée de sa canne sur le vieux dallage en marbre du hall, de grands
carrés noirs et blancs qui faisaient, se rappelait-il, l'admiration
de son enfance, et avaient développé en lui, il s'en apercevait à
présent, une conception précoce du style.
Cet effet était le
vague cliquetis à répercussions, comme d'une cloche lointaine
suspendue qui sait où ? dans les profondeurs de la maison, du passé,
de cet autre monde mystique qui eût pu fleurir pour lui s'il ne
l'avait, pour le meilleur ou le pire, abandonné.
Henry James - Le coin plaisant
(1908) - (nouvelle)
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n°313 |
Du cycle suivant, on ne connait qu'un petit nombre de sédiments.
Qu'il faille en chercher la cause dans un phénomène postérieur
d'érosion ou qu'il y ait eu réellement peu de dépôts, cela est
difficile à établir d'une façon positive. Par contre, les formations
granitiques et les produits volcaniques revêtent une très grande
importance.
C'est au cours de
ce cycle, en effet, que se formèrent les grandes masses des granites
rapakivi. Ceux-ci sont caractérisés par de grands cristaux de
feldspath de forme arrondie, qui, en s'effritant, forment une
bordure blanche. Des blocs, grands et petits, ont été transportés en
grandes quantités lors de la période glaciaire.
Van der Vlerk / Kuenen - L'Histoire
de la Terre
(1961)
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n°312 |
Je conçois, à la rigueur, qu'un touriste ayant passé un siècle ou
deux loin d'un pays ne soit pas autrement surpris de trouver, à son
retour, des décombres et des ruines où il avait jadis contemplé de
somptueux palais; mais tel n'était pas mon cas.
Après une absence de cinq
ou six mois, je ne fus pas peu stupéfait de rencontrer, à l'un des
endroits de la côte qui m'étaient les plus familiers, un manoir en
pleine décrépitude, un vieux manoir féodal que j'étais bien sûr de
ne pas avoir rencontré l'année dernière, ni là ni ailleurs.
Mon flair de détective
m'amena à penser que ces ruines étaient factices et de
date probablement récente.
Alphonse Allais - A l'oeil (1921)
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n°311 |
Cependant, si l'Etat mamelouk devient progressivement la proie des
faiblesses internes qui ont sapé le pouvoir des dynasties musulmanes
successives, il conserve intactes les frontières que lui ont données
Beibars et Qalaoum grâce à leurs victoires sur les Mongols et les
Croisés.
Cette stabilité
relative ne signifie pas que le statu quo se soit généralisé dans
tout l'Orient. Le centre de l'Asie apparaît toujours comme un
réservoir inépuisable de peuples nomades dont les incursions peuvent
se reproduire à tout moment.
René Kalisky - Le monde arabe
(1968)
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n°310 |
Pauvre enfant pâle, pourquoi crier à tue-tête dans la rue ta chanson
aiguë et insolente, qui se perd parmi les chats, seigneurs des toits
? Car elle ne traversera pas les volets des premiers étages,
derrière lesquels tu ignores de lourds rideaux de soie incarnadine.
Cependant, tu
chantes fatalement, avec l'insistance tenace d'un petit homme qui
s'en va seul par la vie et, ne comptant sur personne, travaille pour
soi. As-tu jamais eu un père ? Tu n'as pas même une vieille qui te
fasse oublier la faim en te battant quand tu rentres sans un sou.
Stéphane Mallarmé - Anecdotes ou
Poèmes (1887)
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n°309 |
- Tiens, salaud ! Tiens, bandit ! (Elle le frappe) Tiens ! Tu
leur as tout expliqué, hein ? Tout ! Aménophis IV, le poison des
Borgia, la traite des blanches, hein ? Tout ! Mais ce que tu ne leur
as pas dit, ce que tu as étouffé, c'est pourquoi je me suis
rasé...pourquoi je me suis rasé la moitié de la tête...Adieu,
crapule ! (Elle sort. On l'entend descendre à toutes jambes.)
- Partie ? Qu'elle
aille au diable ! Enfin, c'est assez juste, pourquoi s'est-elle?...
On ne le saura jamais.
Roger Vitrac - Le coup de Trafalgar
(1934) - (théâtre)
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n°308 |
Le soir tombait ; Jacques hâta le pas ; il avait laissé derrière lui
le hameau de Jutigny et, suivant l'interminable route qui mène de
Bray-sur-Seine à Longueville, il cherchait, à sa gauche, le chemin
qu'un paysan lui avait indiqué pour monter plus vite au château de
Lourps.
La chienne de vie !
murmura-t-il, en baissant la tête ; et désespérément il songea
au déplorable état de ses affaires. A Paris, sa fortune perdue par
suite de l'irrémissible faillite d'un trop ingénieux banquier ; à
l'horizon, de menaçantes files de lendemains noirs ; chez lui,
une meute de créanciers, flairant la chute, aboyant à sa porte avec
une telle rage qu'il avait dû s'enfuir.
J-K Huysmans - En rade
(1887) - (roman)
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n°307 |
Il y avait une fois une petite femme rudement gentille et qui avait
oublié d'être bête, je vous en fiche mon billet. Son mari, lui était
laid comme un pou, et bête comme un cochon.
Les sentiments que
la petite femme nourrissait à l'égard de son mari n'auraient pas
suffi (pour ce qui est de la température) à faire fondre seulement
deux liards de beurre, cependant que lui se serait, pour sa petite
femme, précipité dans ls flammes ou dans l'eau sur un signe
d'icelle.
Des faits de
telle nature sont, d'ailleurs, fréquemment constatables en maint
ménage contemporain.
Alphonse Allais (1854-1905) - A la
une ! - (contes et nouvelles)
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n°306 |
Partir avant le jour, à tâtons, sans voir goutte,
Sans songer seulement à demander sa route ;
Aller de chute en chute, et, se traînant ainsi,
Faire un tiers du chemin jusqu'à près de midi ;
Voir sur sa tête alors s'amasser les nuages,
Dans un sable mouvant précipiter ses pas,
Courir, en essuyant orages sur orages,
Vers un but incertain où l'on n'arrive pas ;
Détrempé vers le soir, chercher une retraite,
Arriver haletant, se coucher, s'endormir :
On appelle cela naître, vivre et mourir.
La volonté de Dieu soit faite !
(Jean-Pierre Claris de)
Florian (1755-1794) - Le voyageur - (fable)
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n°305 |
Quand un macrophage rencontre un lymphocyte, quand un fibroblaste
rencontre une cellule mélanocytaire, on aimerait bien savoir
pourquoi ils trouvent à échanger des informations. Mettre en avant
les récepteurs de membrane, connaître que ce sont essentiellement
des sucres, que l'acide sialique tient un grand rôle est important
mais répond au " comment ? ". Se demander pourquoi ils le font, au
nom de quelle force de vie, dépasse et dépassera sans doute toujours
les capacités humaines, mais saisir les grandes " relations " qui
conditionnent les rapports des entités vivantes entre elles reste du
domaine du possible.
Pr Jean-Paul Escande - La deuxième
cellule (1983)
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n°304 |
Quand le soleil, à midi, tombe d’aplomb, les
ombres bleuissent, les herbes allumées dorment
dans la chaleur, tandis qu’un frisson glacé
passe sous les feuillages.
Et c’était là que le moulin du père
Merlier égayait de son tic-tac un coin de
verdures folles. La bâtisse, faite de plâtre et
de planches, semblait vieille comme le monde.
Elle trempait à moitié dans la Morelle, qui
arrondit à cet endroit un clair bassin. Une
écluse était ménagée, la chute tombait de
quelques mètres sur la roue du moulin, qui
craquait en tournant, avec la toux asthmatique
d’une fidèle servante vieillie dans la maison.
Quand on conseillait au père Merlier de la
changer, il hochait la tête en disant qu’une
jeune roue serait plus paresseuse et ne
connaîtrait pas si bien le travail ; et il
raccommodait l’ancienne avec tout ce qui lui
tombait sous la main, des douves de tonneau, des
ferrures rouillées, du zinc, du plomb. La roue
en paraissait plus gaie, avec son profil devenu
étrange, tout empanachée d’herbes et de mousses.
Emile Zola - L'attaque du moulin
(1880) - (nouvelle)
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n°303 |
Aux portières le paysage déroulé lui précise
dans le souvenir les heures de ce même voyage
fait naguère avec elle. Son oncle était venu le
chercher à l'Ecole militaire après les examens
de sortie, et, durant ce voyage, elle lui était
apparue ainsi qu'une âme extraordinaire,
instruite en toutes les sciences et portant sur
le monde des jugements inattendus.
– Oui, répond le commandant, des jugements
inattendus. Elle a tout étudié, n'est-ce pas,
recluse dans ce fort où l'attache la situation
de son père... Il n'y a plus un mur, chez elle,
qui ne soit tapissé de livres...
– Voici le centre de notre patrie, mon
commandant, vous l'a-t-elle appris...
– Le coeur de notre république du Nord?
Voyez, comme il monte, ce sol, vers le pâle
firmament de brumes. Il recouvre, peu à peu, sur
l'horizon les tours fumantes des distilleries et
des forges.
Paul Adam - Le conte futur (1893) -
(nouvelle)
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n°302 |
Il y a plusieurs catégories de gens : ceux qui se posent les
questions, qui ne trouve pas de réponse et qui se résignent à ne
savoir ni d'où ils sont venus ni où ils vont ; il y a ceux qui ne se
posent aucune question, qui vivent bien, peut-être parce qu'ils ont
inconsciemment la réponse ; il y a ceux qui se posent la question,
qui ont trouvé, qui ont leur réponse ; enfin il y a ceux qui se
posent la question et ne peuvent y répondre. Je fais partie de cette
catégorie. A mon âge il est bien tard pour espérer de répondre. Que
suis-je venu faire ici ? Je n'y comprends rien.
Eugène Ionesco - Journal en miettes
(1967)
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n°301 |
Je retournai dans le bureau de Mark Ambient, heureux d'avoir devant
moi une heure de tranquillité pour examiner sa bibliothèque. Les
fenêtres donnaient sur le jardin, et le calme ensoleillé, la douce
lumière de l'été anglais avaient envahi la pièce, sans en avoir
complètement chassé la riche atmosphère sombre et tamisée qui était
inséparable de son charme et qui flottait autour des rayons pleins
de livres dont les vieilles reliures de cuir exhalaient les effluves
d'une culture rare, et aussi dans les espaces plus lumineux où
médailles, estampes et miniatures ornaient les murs tapissés de
tissus fanés.
Henry James - L'auteur de
"Beltraffio"
(1900) - (nouvelle)
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