qu'

MAGALMA

 

LECTORIUM

 

 

 

Encore la boîte du bouquiniste ou le carton du libraire d'occasions. Tous genres et éditions pêle-mêle, c'est  l'éclectisme assuré. Un livre au hasard qu'on ouvre à une page plus ou moins quelconque et cette courte lecture qui s'ensuit, généralement de quelques lignes tout au plus. Curieux ou pas mal...Au fait de qui est-ce ? Alors en le refermant on regarde sur la couverture le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage. (Ici ces derniers, dans un même esprit et pour inciter peut-être aux devinettes, ne sont dévoilés que le lendemain).

 

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n°450
 

       Il est, au contraire, sans voix ce Lazariste au visage diaphane, et sa tête tremble pendant qu'il célèbre le divin sacrifice. Mais la ferveur de ses yeux répand sur les prisonniers la grâce. Il le sait, d'instinct ; et il refuse de suivre le convoi sanitaire qui devait le rapatrier.

       Là, un officier de chasseurs, professeur dans une école libre. La pureté de son regard fascine et retient les captifs, qui cherchent un appui.

 

H.L.J.P. Mazeaud - Visages dans la tourmente (1946)

 

n°449
 

       Sûrement on prête trop à l'ADN. Revoilà la critique fondamentale de René Thom : il est dangereux de vouloir parer l'ADN de pouvoirs magiques. L'ADN ne peut pas tout faire tout seul. La pression du milieu ne peut que jouer sur lui. Le milieu c'est le reste de la cellule et son environnement. On commence d'ailleurs, expérimentalement, de démontrer l'importance de certains éléments cellulaires sur la structure, donc sur la fonction, de l'ADN. Et l'on sait même que l'on en sait finalement peu sur "lui".

       Francis Crick réfléchit beaucoup sur ce qui constitue à ses yeux "the ultimate parasite", "le parasite par excellence et qu'il appelle l'ADN égoïste. Il y a dans chaque cellule de longues parties du fil d'ADN qui paraissent ne servir à rien. Bref, d'énormes réserves (?) de programmes.

 

Pr Jean-Paul Escande - La deuxième cellule (1983)

 

n°448
 

       Les chapeaux ont conquis la boutique. On sait où on est. Seuls les paravents ont encore l'air de cacher quelque chose. Les horloges sont toujours là, mais rassemblées dans le hamac, et prêtes à l'emballage. Il y a aussi quelque part, une roue de motocyclette, et aussi un mannequin de couture, vêtu d'une robe blanche qui le fait ressembler à Germaine.

       La table est mise pour un goûter de quatre personnes, parce que c'est dimanche à 5 heures.

       Madame Séverin et Fernand sont un peu endimanchés comme la table.

       Fernand est en train de photographier la tête de Madame Séverin au moyen d'un vieux kodak sur pied. Tous deux ont sur la tête un chapeau pour dame.

 

Roland Dubillard - Naïves hirondelles (1962) - (théâtre)

 

n°447
 

       Quand l'autobus arriva, il se leva doucement, reprit son paquet de journaux et de cartons, et monta sans même regarder Adam. En le suivant des yeux, Adam le vit, à travers les vitres, qui fouillait lentement dans les poches de son pardessus trop grand, pour payer le contrôleur. Il penchait sa tête maigre vers le sol, et de la main gauche, il retenait ses lunettes, à cause des cahots, qui les faisaient glisser, millimètre par millimètre, le long de son nez. Adam n'eut pas le courage d'attendre le cinquième autobus. Les hommes étaient éternels et Dieu était la mort.

        En entrant dans le "Magellan", les toilettes et le téléphone étaient au fond, à gauche. Quand on en avait fini avec les toilettes, qu'on ouvrait la porte sur laquelle était indiqué : messieurs, tout cela dans le brouhaha de la chasse d'eau, on trouvait l'annuaire posé sur une étagère en dessous du téléphone. Pour faire la communication, il fallait donner le numéro au barman.

 

J.M.G. Le Clézio - Le Procès-verbal (1963) - (roman)

 

n°446
 

       De ce village caché dans un repli, pour parvenir à l'hôtel perdu dans une forêt d'érables, il fallait suivre encore une route peu sûre, mal défendue d'un côté contre les précipices, de l'autre contre des quartiers de roc qui défiaient les lois de l'équilibre. J'avais le souvenir d'une demeure accueillante, luxueuse, même très luxueuse dans un décor de la fin du siècle dernier adapté à grands frais au confort le plus exigeant.

        Je l'avais connue dotée d'un personnel nombreux dont j'appréciais le tact et les égards. Je la retrouvais inchangée d'apparence  dans la splendeur automnale des érables exaltés par le couchant. Mais au lieu du groom écarlate qui s'emparait de mes bagages et me confiait à un portier massif, je ne voyais qu'un vieillard au travers des grandes baies du hall. J'entrai. Il s'inclina et, après une hésitation marquée, me demanda ce que je désirais.

 

Noël Devaulx - Anamorphose (1980) - (nouvelle)

 

n°445
 

       Mais la noce faite et parfaite ne changea rien aux habitudes de l'arquebusier à cheval, qui même fit espérer qu'il pourrait obtenir, grâce à la tranquillité des croquants, de rester à Paris jusqu'à l'arrivée de son corps. Eustache tenta quelques allusions épigrammatiques sur ce que certaines gens prenaient des boutiques pour des hôtelleries, et bien d'autres qui ne furent point saisies, ou qui parurent faibles ; du reste, il n'osait encore en parler ouvertement à sa femme et à son beau-père, ne voulant pas se donner, dès les premiers jours de son mariage, une couleur d'homme intéressé, lui qui leur devait tout.

 

Gérard de Nerval - La Main enchantée (1852) - (histoire macaronique)

 

n°444
 

       Dans le petit vestibule de Jean Cocteau, rue de Montpensier, on se trouve coincé entre quatre portes dont deux semblent en bois blanc. Sur l'une d'elles, un tableau noir couvert de signes à la craie. Une gouvernante replète entame la conversation :  "Non, Monsieur n'est pas à Milly. Oui il est très occupé.  Non, il n'est pas toujours à la campagne. D'ailleurs il revient d'Allemagne..."

       Je sens que cette interview improvisée va prendre un tour intéressant, lorsque la porte au tableau noir s'ouvre. Alerté sans doute par nos chuchotements, Jean Cocteau s'avance, précédé de deux chats siamois. Un pas alerte et décidé. On s'attend à un roulement de tambour : "V'là le poète qui passe..."  

 

Gilbert Ganne - Interviews impubliables (1965)

 

n°443
 

       Aux premiers jours de juillet 1936, à Hambourg, un groupe plutôt bizarre de voyageurs monte à bord du vapeur Usaramo. Quatre-vingt-cinq civils, jeunes, vigoureux : des commerçants, techniciens, photographes, à en croire leurs passeports, et qui partent pour une croisière organisée par une agence de tourisme. Que de bagages, de malles, de caisses, s'étonnent ls marins.

       Et voilà qu'une caisse mal arrimée se détache, tombe, éclate. Les hommes occupés au chargement se penchent, écarquillent les yeux : l'objet noir et brillant qui gît parmi les planches brisées...eh oui, pas de doute, c'est bien une bombe de deux cent cinquante kilos !

 

J.J.Heydecker / J.Leeb - Le Procès de Nuremberg (1959)

 

n°442
 

       Le monde des héros est l'âge du bronze. Le fer, à cette époque, était pourtant connu ; mais il constituait encore une rareté. De fait, tout est en bronze dans l'épopée, tout ou presque. Lorsque Achille offre en prix pour les jeux un bloc de fer, il vante la valeur de ce prix, et l'usage que peut en faire l'agriculture.

       Mais au détour des épithètes ou des comparaisons, Homère dit volontiers que les héros ont "un coeur de fer", ou que l'oeil brûké du Cyclope grésille comme le fer que l'on trempe. Les façons de parler sont de temps en temps, les armes des héros d'un autre. On remarque d'ailleurs que le fer intervient moins, par rapport au bronze, dans l'Iliade que dans l'Odyssée.

 

Jacqueline de Romilly - Homère (QSJ n°2218-1985)

 

n°441
 

       Les matelots, de rudes gaillards fortement musclés, à la peau d'un noir de charbon et au visage simiesque, souquaient ferme, car ils venaient de déferler les hautes voiles du perroquet. Leurs yeux rusés, étincelants, leurs mains griffues, firent frémir le jeune garçon. Il ignorait que c'était des indigènes de l'île Erromango, les plus cruels des mers du sud. Rapoo lui apporta un transatlantique et l'installa à l'ombre des voiles de hune.

        Robert respira à fond l'air tiède et salé de la mer. La grande chaleur était passée, le soleil déclinait déjà à l'horizon. Un albatros survola le bateau en direction du sud. L'adolescent ne tarda pas à ressentir une bienfaisante sensation de paix. Sa poitrine semblait délivrée d'un poids inhumain. Il s'enfonça plus profondément dans la chaise longue et s'endormit, premier sommeil sans cauchemars après des jours de souffrance sans fin.

 

John Flanders - L'Île Noire (1986) - (roman)

 

n°440
 

       D'un certain point de vue, la situation actuelle peut être décrite comme une crise de la foi ; ayant perdu leur foi non seulement sur le plan religieux, mais encore sur celui de l'idéologie politique et de la science, bien des hommes s'estiment privés de cette espèce de sécurité.

        Je crois que cette crise peut être attribuée, au moins partiellement, au fait qu'il n'existe plus d'aînés qui en sachent davantage que les jeunes sur ce que ceux-ci sont en train de vivre.

 

Margaret Mead - Le fossé des générations (1970)

 

n°439
 

       On entend démarrer la voiture officielle. Cris. Sifflets. Pétarade de mobylette. Les invités disparaissent. Surgit la Poupée enveloppée de rouge.

      - Les molécules s'organisent suivant des angles élastiques. Le résultat pourtant sera d'ordre politique. Quel rapport existe entre la mort d'un colonel  et la vitesse des rayons lumineux ? Aucun, dites-vous ? Erreur, erreur. Nous touchons au but... Venez avec moi... Vous verrez le soleil se lever. Venez, venez ! Allez, venez les amis ! Venez vous tous !

       A pleine voix la poupée chante :

               Il n'y aura plus de chemin, il n'y aura plus que la grand-route par où nous passerons demain, pour fuir l'erreur, pour fuir le doute.

 

Jacques Audiberti - La Poupée (1969) - (théâtre)

 

n°438
 

       La rencontre de la gamme heptatonique européenne et de la gamme pentatonique africaine allait donner naissance à une nouvelle gamme majeure, la gamme du jazz. Jusqu'à l'époque où l'esclavage mit, pour la première fois, des Africains en contact avec des civilisations étrangères, la musique africaine, de la Côte d'Ivoire au Congo, était demeurée fermée à l'écart d'une musique étrangère, les accords se produisent, uniquement, comme rencontres accidentelles de deux ou plusieurs lignes mélodiques.

       Les mélodies s'organisent à l'intérieur d'un système pentatonique ignorant le demi-ton, une échelle de cinq tons entiers qui coïncident avec cinq des intervalles de la gamme diatonique et ne s'accordent pas avec deux d'entre eux, le troisième et le septième, qui sont des demi-tons de la gamme diatonique et sont, par suite, étrangers à l'oreille africaine. 

 

Simonovna/Vladimirovitch - Le guide Marabout du piano (1982)

 

n°437
 

       Certain soir où nous dînions chez Boylesve, le restaurant qui fait l'angle de la rue Geoffroy-Marie et du Faubourg Montmartre  : une torpille tomba sur l'immeuble d'en face et le pulvérisa, épargnant, par miracle, les locataires entassés dans les caves. Nous n'avions senti, nous, qu'une sacrée secousse. Ainsi la vie de Paris continuait. Il fallait bien vivre, tandis que les journaux et affiches nous répétaient : " Les Allemands sont à 80km de Paris".

        Les dancings clandestins regorgeaient de permissionnaires qui essayaient d'oublier avant de remonter en ligne  et, pendant les alertes, notre spectacle se poursuivait après une annonce devenue habituelle : "Mesdames et Messieurs, l'alerte vient d'être donnée. Vous pouvez descendre aux abris." Personne ne quittait sa place.  

 

Saint Granier - Ma jeunesse folle (1943) - (souvenirs)

 

n°436
 

       Ce sont les conteurs qui attirent le plus de monde. Autour d'eux, se forment les cercles d'auditeurs les plus nombreux et les plus fidèles. Leurs récits durent longtemps. Les auditeurs s'accroupissent en un premier cercle sur le sol et ne se relèvent pas de sitôt. D'autres debout, forment un deuxième cercle. Ils bougent à peine, fascinés, suspendus aux mots et aux gestes du conteur.

        Ces derniers, vont souvent par paire, chacun récitant tour à tour. Leurs paroles viennent de plus loin et restent plus longtemps suspendues dans l'air que celles des hommes ordinaires. Je ne comprenais rien, et cependant je restais debout, à portée de leur voix, toujours également ensorcelé.

 

Elias Canetti - Les voix de Marrakech (1967) 

 

n°435
 

       L'homme a la main placée de telle sorte que l'objet qu'il appréhende le plus souvent et le plus totalement est son propre appareil sexuel. Cela signifie  - l'homme étant "celui qui mesure" -  que le sexe se trouve relativement à la conscience exactement au point zéro, centre et commencement de tout ce qui existe.

        Ce point est d'autant plus le centre et le commencement que le sexe tenaille l'homme comme un abcès sur le point de crever ; situation qui, fatalement, envahit et mine la personnalité. En cet objet et sur lui, avec ou contre lui, se concentrent toutes les références métaphysiques, mentales, morales. Il figure la quintessence du Bien et du Mal, mêlés en de brûlantes fusions.

 

Jacques Lantier - Magie et Sexualité en Afrique Noire (1972)

 

 
n°434
 

       On applique les considérations précédentes à l'étude du mouvement plan sur plan. ce mouvement est concrétisé par une feuille de papier mobile, qu'on fait glisser arbitrairement sur une feuille de papier plan fixe, c'est à dire par le mouvement d'un plan mobile Pm  sur un plan fixe Pf ; l'axe instantané est naturellement orthogonal à ces deux plans, il porte une rotation w à l'instant t , mais sa vitesse de glissement sur lui-même est nulle, autrement dit le mouvement  de Pm sur Pf  est tangent à une rotation  et non à un mouvement hélicoïdal, ou encore les axoïdes sont des cylindres qui non seulement sont tangents le long d'une génératrice, mais encore roulent sans glisser l'un sur l'autre.

 

Robert Campbell - La Cinématique (QSJ n°1204-1966)

 

n°433
 

       Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de prochain, d'ami, de société que moi-même. Le plus sociable et le plus aimant des humains en a été proscrit par un accord unanime. Ils ont cherché dans les raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m'attachaient à eux.

       J'aurais aimé les hommes en dépit d'eux-mêmes. Ils n'ont pu qu'en cessant de l'être se dérober à mon affection. Les voilà donc étrangers, inconnus, nuls enfin pour moi puisqu'ils l'ont voulu. Mais moi, détachés d'eux et de tout, que suis-je moi-même ? Voilà ce qui me reste à chercher.

 

Jean-Jacques Rousseau - Les rêveries du promeneur solitaire (1782)

 

n°432
 

       Mais il y avait un cas d'exception à cet état de prostration générale, celui du pauvre Piers dont le comportement différait totalement du nôtre. Il suffocait littéralement, essayant des deux mains d'arracher un serpent invisible de sa gorge; dressé sur les genoux, il se tordait lui-même, se cabrait, haletant de faiblesse. Sans cesser de se débattre, il roula sur le côté et sa lutte mimée avec le serpent, quelque chose comme un boa, atteignit un tel réalisme qu'un instant l'on crut presque voir le reptile s'enroulant autour de lui, l'étreignant à lui couper la respiration.

       Comme je l'ai dit, toute cette scène était si réaliste et l'angoisse de Piers si vive que je fis un effort, dérisoire, pour me redresser et venir à son secours, mais Akkad, d'un sourire, me déconseilla d'intervenir. En fait il paraissait se réjouir hautement de ce simulacre de combat et de la profonde anxiété de mon ami.

 

Lawrence Durrell - Monsieur ou Le Prince des Ténèbres (1974) - (roman)

 

n°431
 

       Mais, à peine étendu sur la paille, je m'aperçus, à mon grand déplaisir, que le lieu de la réunion où s'étaient rendus les principaux locataires de mon appartement ne pouvait pas être fort éloigné, tant mon oreille fut assourdie d'un mélange confus de hurlements, de jappements, d'abois, de grognements, de piaulements, de murmures, pris dans toute l'échelle de la mélodie canine, depuis la base ronflante du mâtin de basse-cour jusqu'à l'aigre fausset du roquet, et qui formait certainement le morceau d'ensemble le plus extraordinaire dont il ait jamais été question en musique.

 

Charles Nodier - La fée aux miettes (1832) - (conte fantastique)

 

n°430
 

       Elle reste là, à chercher, mais raisonnablement, ce qu'elle préfère faire de son temps, orpheline tout à coup de ce père  qui l'a oubliée. Son regard reste sauvage, orphelin, lui, de cet égarement qui tout à l'heure l'a emportée alors qu'elle traversait la forêt. Elle lève la main vers son visage, les croise sur sa bouche, et se frotte les yeux comme au réveil elle doit le faire.

       A quel jeu s'était-elle amusée près de l'étang ? C'était de boue séchée qu'étaient salies ses mains. Elle avait dû lâcher la pièce de cent francs après l'avoir tendue à M.Andesmas. Ses mains retombèrent, en effet, vides, le long de sa robe.

 

Marguerite Duras - L'après-midi de monsieur Andesmas (1962)

 

n°429
 

       A l'aube, mon frère et moi dormons la figure enfouie dans nos oreillers, et déjà s'entendent les chaussures cloutées de notre père qui tourne dans la maison. Il fait beaucoup de bruit quand il se lève, peut-être exprès, et monte et descend les escaliers  avec ses chaussures cloutées une bonne vingtaine de fois, toujours sans raison.

       Peut-être bien que toute sa vie est comme ça : un gaspillage de forces, un grand travail inutile : et peut-être bien qu'il fait tout cela pour protester contre nous deux, tellement nous le mettons en colère.

 

Italo Calvino - Le corbeau vient le dernier (1949) - (nouvelles)

 

n°428
 

       Il était une fois un Bûcheron et une Bûcheronne, qui avaient sept enfants, tous Garçons. L'aîné n'avait que dix ans, et le plus jeune n'en avait que sept. On s'étonnera que le Bûcheron ait eu tants d'enfants en si peu de temps ; mais c'est que sa femme allait vite en besogne, et n'en faisait pas moins que deux à la fois.

        Ils étaient fort pauvres, et leurs sept enfants les incommodaient beaucoup, parce qu'aucun d'eux ne pouvait encore gagner sa vie. Ce qui les chagrinait, c'est que le plus jeune était fort délicat, et ne disait mot : prenant pour bêtise ce qui était une marque de bonté dans son esprit. Il était fort petit et quand il vint au monde, il n'était guère plus gros que le pouce, ce qui fit que l'on l'appela le Petit Poucet.

 

Charles Perrault - Contes de ma mère l'Oye (1697)

 

n°427
 

       Deux obstacles s'opposent aux tentatives de standardisation et de rationalisation.

       L'un est d'ordre humain : les ouvriers spécialisés deviennent continuellement plus rares. En réalité, l'ouvrier spécialisé était, en Angleterre, une sorte de survivance de l'artisanat. Cette forme économique est désormais si lointaine dans le passé qu'elle ne subsiste même plus par la tradition. Et la naissance d'une classe ouvrière spécialisée, en rapport avec les modes modernes de production, est défavorisée par l'abaissement des salaires, provoqué à son tour par la crise économique générale.

        Le second obstacle est d'ordre financier avec le resserrement sensible du crédit.

 

Jean Luchaire - Les Anglais et nous (1941)

 

n°426
 

       L'une la nommait ma petite dille, l'aultre ma pine, l'aultre ma branche de coural, l'aultre mon bondon, mon bouchon, mon vibrequin, mon possouer, ma teriere, ma pendilloche, mon rude esbat roidde et bas, mon dressouoir, ma peite andoille vermeille, ma petite couille bredouille.  "Elle est à moy disoit l'une".

    -C'est la mienne, disoit l'aultre.

    -Moy (disoit l'aultre), n'y aurai je rien ? Par ma foy, je la couperay doncques.

    -Ha couper ! (disoit l'aultre) ; vous lui feriez mal. Madame, coupez-vous la chose aux enfants ? Il seroyt Monsieur sans queue."

 

Rabelais - Gargantua (1534) -(satire)

 

n°425
 

       On peut dire beaucoup de choses en peu de mots. C'est ce que fait le décret dont il s'agit, et qui contient un certain nombre d'innovations du plus vif intérêt. Tout d'abord par son article premier, il insère l'Assemblée de la Corporation Nationale  de la Presse dans le cadre de la légalité nouvelle. Ainsi une organisation née empiriquement de circonstances occasionnelles et qui, pour se trouver une assise légale, avait dû déposer ses statuts sous l'égide de la loi de 1884 sur les syndicats, se trouve maintenant couverte par les deux grandes lois édictées depuis l'armistice.

        La preuve est ainsi faite que le corporatisme, tel que nous l'avons préconisé ici, n'est nullement en opposition avec le syndicalisme.

 

Jean Luchaire - Partage du pouvoir (1943)

 

n°424
 

       Nous continuerons très progressivement la rotation de tangage, en surveillant l'altimètre et l'anémomètre, nous réglons le compensateur au fur et à mesure. Lorsque la vitesse atteint 150, nous bloquons l'assiette, ajustons le régime et réglons le compensateur pour pouvoir lâcher le manche. Pendant toute cette manoeuvre, nous penserons à la variation des effets moteur et nous surveillerons la bonne tenue de la ligne droite.

       Il est possible d'accélérer toute cette opération en réduisant le régime en dessous de 2200 tr/mn au début de la manoeuvre ; mais la coordination (tangage / vitesse / altitude constante) devient beaucoup plus difficile.

 

B.Sérabian - Le pilotage (1978)

 

n°423
 

       Les papiers qui ont été trouvés en sa possession ont été remis aux fonctionnaires de la police allemande, qui en ont délivré reçu. Ces papiers indiquent un domicile à Tarare, un autre route de Crémieu, et un troisième à l'Hôtel de la Scala, 17 Place Thomassin. Rémy Colonel avait également une carte de franc-garde de la Milice française.

        Les policiers allemands ont déclaré qu'ils connaissaient la femme prénommée Annie, qu'elle fait partie d'un groupement de résistance et que Rémy Colonel s'était mis récemment en rapport avec elle.

 

Paul Garcin - Interdit par la Censure (1944)

 

n°422
 

       C'est encore du "Grenier" que sortit le quatrième président de l'Académie Goncourt : Joseph Henri Rosny dit Rosny aïné. Il connaissait bien le saint des saints qu'il décrivit avec ironie dans Le Termite en racontant les littéraires conversations d'Auteuil que coupait le sifflet répété des trains de la petite ceinture.

       Dans un pastiche du Journal des Goncourt publié par Bonsoir en 1922 il devient lui-même "Rôny" auprès d'un "Mirbot"  (Mirbeau) et d'un "hecave (Lucien descaves).

 

Michel Caffier - L'Académie Goncourt (QSJ n°2819-1994)

 

n°421
 

       La corruption méthodique, la primauté toujours affirmée de l'étranger, la destruction ivre de tout ce qui faisait la tendresse de vivre dans les vieilles cités, telle était la République prophétisée par Rimbaud et dont Senghor allait rapporter la constitution. Après la guerre de Sécession, les "Yanquis" avaient jeté sur le Sud les carpet-baggers pour détruire sa civilisation.

        L'opération démocratique de 1947 fut beaucoup plus radicale. On fit rapporter la constitution par un nègre, au demeurant distingué ; mais on décréta en même temps que le renversement des valeurs allait s'accomplir sans retour. Le vieux mot d' Empire fut abandonné. Il était trop Romain et n'avait pas d'équivalent Bambara.

 

Pierre Boutang - La république de Joinovici (1949)

 

 

 

 

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